Grand-père Jo, de son état civil « Joseph Félix Pilven », est né à Saint-Pierre-Quilbignon (comme le sociologue Robert Castel, à un an d’intervalle), commune rurale, indépendante à l’époque, qui fut ensuite rattachée à Brest, à la fin de la seconde guerre mondiale.
Grand-père s’est marié, a eu quatre enfants (dont un décédé trois jours après sa naissance), a travaillé toute sa vie active, dans un premier temps dans le bâtiment, puis dans la construction navale, à l’Arsenal, pour finalement se fixer à la SNCF.
Grand-père était cheminot, il entretenait les rails. Au début de sa carrière, il travaillait 60 heures par semaine. Son travail très physique lui a abîmé le dos, de sorte qu’il est devenu bossu, avec l’âge. Il travaillait dur, mais était payé pas grand-chose. Sa fille aînée gagnait mieux que lui, au début de sa carrière d’infirmière, alors qu’il était, lui, presque retraité.
Grand-père est resté abonné longtemps à « la vie du rail » - publication traitant des trains, des gares et des cheminots - après son départ en retraite. Il continuait à aller à la bibliothèque de la gare et voir des anciens de la SNCF. Il n’aimait pas utiliser les transports en commun, il allait donc à pieds de Saint Pierre, jusqu’à la gare (ce qui fait plus d’une heure de marche).
Grand-père était syndiqué à la CFDT. Cheminot, c’était presque obligatoire d’être syndiqué, mais la plupart de ses collèges étaient plutôt à la CGT. Grand-père était de gauche, mais aussi catholique. Il allait à la messe tous les dimanches.
Grand-père était taiseux. J’ai eu une seule vraie conversation avec lui. Le jour de l’anniversaire de mes 18 ans. J’étais intéressée par une conférence sur les baleines, à Ifremer, et il y allait aussi. Je m’étais rendue compte ce jour là qu’il s’y rendait régulièrement ! A tel point que le vigile le laissait entrer, alors qu’il avait oublié sa carte d’identité. Nous avions eu le temps de bien discuter, car nous sommes allé.e.s à pieds. Grand-père n’avait pas le permis de conduire. Il avait essayé d’avoir le code, mais n’avait pas réussi, par manque de confiance en lui.
Outre les conférences à Ifremer et sa fréquentation de la bibliothèque de la gare, il pratiquait le tennis de table à la légion Saint Pierre, jusqu’à un âge avancé, s’occupait du potager, des poules et des lapins.
Puis, il a faibli, étant insuffisant respiratoire depuis qu’il avait contracté la tuberculose dans sa jeunesse et la vieillesse n’arrangeant pas cela. Ma mère l’accompagnait à ses rendez-vous médicaux, pour servir, en quelque sorte, d’interprète. Car il était presque sourd et avait beaucoup de timidité sociale face aux médecins.
Il est mort à la fin du mois de février 2018, il avait 85 ans.
Il y avait du monde, pour son enterrement, dans l’église, puis au cimetière de Saint Pierre. Des gens de la légion, de la paroisse, des anciens de la SNCF, en plus de la famille. Le curé qui a mené la cérémonie est un prêtre ouvrier, ancien maçon et accompagnateur à la JOC (jeunesse ouvrière chrétienne). C’était une belle cérémonie, qui avait été bien préparée. Nous avons pu mettre « tuchenn mikael », une chanson de Youenn Gwernig, chantée par l’ensemble choral du bout du monde, que mon grand-père aimait beaucoup. Il aimait la musique traditionnelle bretonne, comme Alan Stivell, mais aussi d’autres styles de musique, comme Jean-Michel Jarre.
Mon grand-père était un peu une allégorie de son milieu social et de sa génération. Humble, réservé, travailleur et fort.
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