Brèves d’un week-end de confinement dans un quartier brestois (jour 5 et jour 6)
Depuis mardi, le temps me manque. Faire l’école à la maison à partir des consignes envoyées via les écrans, travailler à distance, partager les ordinateurs, prendre des nouvelles des proches et en donner… Très vite, je me suis sentie dépassée. Ni disponible à la maison, ni disponible pour les dehors. Il fallait trouver un rythme. Le négocier à cinq.
Mais là, c’est le week-end. Et même en confinement, le rythme change…
Samedi, jour 5, je sors dans le jardin avec une feuille blanche et un crayon égaré sur la table de la salle qui sert de bureau, d’atelier de dessin, de table de jeux. Un fauteuil me tend son assise. C’est parti ! J’attends ce moment, cette pause pour me poser, écrire et raconter. Mon téléphone est loin et je n’ai plus de montre au poignet depuis le jour 1.
D’abord, J’écoute.
Ici, le bruit régulier d’un ballon contre un mur. Le foot du pauvre : le mur renvoie la balle. Pas de copain dans le quartier pour partager les passes.
Une sirène. Police ? Ambulance ? Pompier ?
Les goélands sont là. Avec la même liberté que d’habitude. Leurs cris, leurs déplacements me rassurent… Et je les envie.
Un volet s’ouvre de l’autre côté de la rue. Ma voisine, âgée de près de 80 ans. Je la salue en levant la main. - « Ah, je me demandais ce qui bougeait dans votre jardin ? - C’est moi, ça va ? - Oui, chez nous, ça va bien. Vous êtes bien au soleil ! - Oui, je profite. - Et les enfants, ce n’est pas trop difficile pour eux ? - Non, ça va - Je n’entends pas bien… » Elle ferme sa fenêtre en gardant les volets ouverts, vue sur notre jardin. L’activité du jardin est pour elle, une série d’épisodes discontinus quand le temps permet des activités extérieures. Hier, Léo, balle au pied, s’amusait à lancer son ballon le plus haut possible. Et comme souvent, la trajectoire mal maitrisée envoie le ballon dans le jardin d’à-côté. Il faut donc passer par la rue, ouvrir le petit portillon, sonner pour s’annoncer et chercher la balle dans la haie. De la fenêtre du haut, de l’autre côté de la rue, la voisine avait observé la scène et ouvert sa fenêtre : « - Léo, je l’ai vu tomber dans le coin. Tu l’as trouvée ? - Je cherche dans la haie. C’est bon ! ». Léo sort dans la rue, sans savoir qui a pris la peine de l’aider. Il ne faut pas trainer. Il a intégré les consignes du confinement. A la volée, il crie : « merci ! ».
Arrivé dans notre jardin, il me demande qui l’a aidé.
Je n’entends pas le bus. Ce sont les horaires du dimanche. Moins de personnes à monter et à descendre. Donc moins d’amortis, de freinage, d’accélération. Les petites vibrations qui rythment les journées se sont espacées.
Ma maison est au coin d’une rue qui mène à pied au supermarché. D’habitude, il y a beaucoup de piétons le samedi. Des groupes de jeunes qui vont chercher un goûter, des mères de familles avec leurs poussettes… Aujourd’hui, ce sont des personnes seules, discrètes dans leurs foulées. La rue est silencieuse.
La sonnette de la porte d’entrée est en repos. Elle est pourtant si active le samedi. A présent, les copains, la famille s’invitent sur les médias sociaux…
En ouvrant mon store, ce dimanche matin, au jour 6, une banderole rouge, en haut d’un immeuble voisin attire mon attention. De ma fenêtre, j’essaye de zoomer pour lire ce qui est écrit. Sans succès. J’en appelle à de bons yeux autour de moi. Idem. Pourtant, cette affiche, elle s’adresse aussi à moi, à nous, à tout le voisinage. Je vais m’approcher. Je mets mon coupe-vent, mes tennis, je vais sortir de chez moi. Arrivée au portillon, je me rends compte que j’ai oublié mon attestation sur l’honneur. Marche arrière. Je découpe dans le Télégramme, une des deux attestations mises à disposition chaque jour. Je sors.
Peut-être à 100 mètres ou 120 mètres (la précision est importante aujourd’hui), je suis au plus près de la tour mais pas au pied car vu sa hauteur, je ne verrai rien. Là, au 6ème balcon, une personne fume. Finalement, elle ne sait peut-être pas qu’une affiche quelques étages plus haut, attire les regards. Le mien mais aussi celui de deux femmes, croisées dans la rue équipées d’un sac de course. Elles s’arrêtent en même temps que moi. - « C’est quoi ? - Je ne sais pas, je cherche à lire le message écrit.
- … - C’est bon. A l’aide du zoom sur le téléphone, j’ai réussi à déchiffrer : COURAGE. NIQUONS LE CORONAVIRUS. - … » Elles ne font pas de commentaire. Pourtant, j’aurais aimé entamer une discussion. Elles descendent la rue. Je leur emboite le pas, mais à distance. Je suis sortie pendant moins de dix minutes. Retour à la maison.
Davantage de contributions au journal collectif :
Journal collectif 6. Boboland et la boîte de sardines, par Annick Madec
Journal collectif 8. Non-confinement et rentabilité