D’après la photo de Miriam Bovi illustrant le texte de Mélanie Duclos, "Au départ je voulais pas partir".

2500 hommes, femmes et enfants sont morts en mer en 2023 selon l’ONU, certains d’entre eux sont surement partis d’une petite commune du Sénégal à quelques 28 kms de Dakar dont le quai de pêche est rebaptisé « aéroport international de Bargny » lieu de départ comme bien d’autres quais situés (Kayar, Thiaroye, Yarakh, etc.) sur la côte, de pirogues « gaal » en wolof vers l’Europe. Cette année 2023 est marquante par les départs massifs et le nombre de morts dans les villages de pêcheurs et dans des familles de l’intérieur du pays dont les fils …. Et maintenant, de plus en plus, les filles « tentent l’aventure » migratoire en prenant la mer. Beaucoup d’entre eux, elles ne connaissent pas la mer et/ou ne savent pas nager. Le décompte macabre relayé par la presse souvent ne semble ne plus émouvoir personne.
Pourtant, derrière ces chiffres qui effacent toute humanité, il y a des vies, des familles, des visages, des engagements, noms. Chacune, chacun a son histoire à raconter, ses motivations, certains ne savent pas pourquoi ils sont partis. Les propos de ce jeune homme de 19 ans sont édifiants : « je ne sais toujours pas comment je me suis retrouvé dans cette pirogue, c’est comme si je n’avais pas toute ma tête, j’ai réalisé en pleine mer au bout de quelques jours.. j’ai réalisé que je partais pour l’Espagne ! ».
Au départ, je ne voulais pas partir mais je suis un jeune pêcheur, je n’ai d’autres activités que la pêche pour nourrir ma famille et aider mes parents. Avant on passait une semaine à quinze jours en mer puis on revenait la pirogue remplie. On vendait nos prises et en tirait des revenus qui nous permettaient de vivre de manière confortable, de faire face aux dépenses familiales, de payer la scolarité des enfants. Maintenant que la mer a été vendue -faisant référence aux accords de pêche signés entre le Sénégal et l’UE- on est obligés d’aller pêcher dans les eaux territoriales des pays voisins en Guinée Bissau ou en Mauritanie et souvent on se fait arrêter, nos pirogues arraisonnées. J’ai décidé de partir comme tout le monde !
Au départ, je ne voulais pas partir parce que j’ai un travail, je suis tailleur, je m’en sors plutôt bien. J’ai même acheté une machine à coudre pour relancer mon business. Je suis marié. J’ai été arrêté quelques heures après mon mariage et emprisonné pendant 6 mois parce -humoriste et influenceur- accusé d’avoir parodié, détourné la Une d’un quotidien ! Je serai libéré et placé sous contrôle judiciaire, me contraignant à me présenter tous les mois devant un juge.
Je m’appelle Papito Kara, décédé en mer le 01er Novembre 2023. Je ne voulais pas partir mais la persécution et la traque des partisans du principal opposant au pouvoir autocratique du Président de la République ont eu raison de moi !
Une autre lecture du phénomène migratoire à partir de l’analyse des contextes socio politiques et des récits biographiques !
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