J’ai failli vomir en délaçant le jogging bleu Adidas de Louis. Un genoux à terre, lui debout, je faisais glisser, d’un geste machinal, le molleton sur ses hanches. Mais, alors que je découvrais ses jambes droites comme des piquets, c’est venu. J’ai senti mon estomac se contracter. J’ai eu un hoquet puis un autre.
Sa couche a fui... Son jogging est d’une lourdeur étonnante, il m’en échappe presque des mains. Son caleçon est tout "enmarroné", ses cuisses de même. Je me relève, (un peu trop vite) mais j’arrive à réprimer mes hoquets. Je regarde autour de moi, et j’aperçois un sauveur : un spray désodorisant à la lavande. Je m’en saisi et j’asperge. Je me construis un nuage de Lavande artificielle. Je m’échine à recouvrir l’odeur dans un jeu de bras digne des plus grands chefs d’orchestre.
J’ai agi vite. Je n’ai pas hésité une seconde, moi qui pourtant n’ai jamais supporté la moindre odeur de parfum : trop chimique, trop écoeurant, trop entêtant... Cette fois, le parfum a calmé mes relents et je peux reprendre mon travail.
Pendant quelques minutes, j’arrive à me concentrer sur ma tâche. Désolée du sentiment que mon dégoût a pu renvoyer à Louis, je détends mon rictus pré-vomissant et me compose un sourire de circonstance (compréhensif et détendu). Mais je ne suis pas au bout de mes peines, la merde s’attache à ses poils. Je sens mon visage se crisper à nouveaux. Je frotte et je frotte, j’enlève une couche puis une autre. N’y pouvant plus, je m’agrippe à nouveau dans un geste désespéré, au désodorisant. Petite pause. Je m’y remets. Je suis alors dépassée par un liquide jaunâtre : mélange d’eau, de savon et d’excréments qui s’infiltre jusqu’à ses chaussettes. Je n’y peux rien, je fais à nouveau la grimace.
Louis est désormais tout propre, moi je suis en nage, je suis rouge écarlate. Je vais lui chercher de nouveaux vêtements. Je prends le temps de me montrer moins dégoûtée par son corps, de lui répéter qu’il est désormais comme un sou neuf et qu’il sent bon le savon.
Je sors du travail quelques heures et quelques toilettes plus tard. Je m’engage, dans les couloirs du métro, exténuée. Je vise de loin un siège vide, je m’avance. J’ai le sentiment d’évoluer dans un nuage d’odeurs nauséabondes de merde, de pisse, d’haleine fétide… Finalement, je n’ose pas traîner mon nuage jusqu’au siège.
De retour chez moi, je mets l’ensemble de mes fringues à la lessive, me lave les mains une bonne cinquantaine de fois. Je prends une douche bouillante, me lave les cheveux, les dents, ne laisse rien au hasard. Je me rhabille et sors retrouver des potes. Sur la route du café, le nuage est toujours là. Et je comprends peu à peu, que ce qui a changé ce n’est pas mon odeur, mais le sentiment que toutes les mauvaises odeurs que je croise dans la rue, dans le métro, celles-là même que j’attribuais sans y penser au gens, aux autres, émanent dorénavant de moi.
Pas étonnant dans ces conditions, que mes collègues passent leur temps à parler maquillage, parfum et coupe de cheveux. Elles sont impeccables jusqu’au bout du moindre ongle manucuré. Parfois une collègue arrive un fichu sur la tête, elle a retiré ses tresses. Les autres se moquent d’elle : tu te montres comme ça devant ton mari ? C’est l’occasion de multiples sarcasmes, qui ont pour contenu commun des questions essentielles : beauté, propreté, féminité, séduction.
Les filles se coiffent entre elles à la MAS [1]. Parfois, en fin de journée, l’unité de vie se transforme en salon de coiffure. Tout le monde y va de son commentaire, on s’entraide, se conseille, se vanne mais c’est pour la bonne cause. Il s’agit avant tout, de façon collective et solidaire, de rester compétitives et puis que chacune à sa manière puisse se le répéter : Sexual Healing, is good for me...
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