Je vais régulièrement au tribunal de Bobigny depuis quinze ans, soit avec des étudiants dans le cadre d’un cours « Observation », soit pour chercher de l’information sur des problèmes particuliers : audience pour présence illégale sur le territoire, pensions alimentaires non payées, parenté accompagnante et tribunal pour enfant.
Evidemment il s’y passe toujours des choses inattendues.
Ce jour-là, j’ai demandé à Livia Velpry – qui vient de suivre un stage de « prise de son » – si elle voulait m’accompagner sur le parvis du tribunal de Bobigny, vers 11 heures du matin. De mon côté, je m’y rendais dès 9 h pour me coller dans les couloirs du tribunal pour enfants et espérer « accrocher » une famille, un adolescent, plusieurs sait-on.
Accrocher comme on accroche une voiture avec son vélo, c’est un peu ça. C’est un peu « forcé ». À la volée et l’air naïf, je lance devant des portes qui s’ouvrent un : « mais qu’est-ce qui s’est passé ? » Parfois, le silence et un regard suffisent.
Il me faut bien une heure ou deux pour me sentir à l’aise dans les lieux, avoir l’air de rien, inoffensif, comme un accompagnant. Je vais et je viens lentement dans les couloirs. Je m’arrête 10 minutes dos au mur à regarder dans le vague tout en voyant ce qui se passe, oreilles ouvertes. Puis je sors sur le parvis. Je tourne parmi celles et ceux qui, souvent nerveux, tourbillonnent la peur au ventre.
C’est cette haute tension qui rend possible une interaction sur le mode : « vous aussi vous attendez ! »
Quatre jeunes de 14-16 ans font les guignols dehors, sur le parvis. Ils se chahutent en regardant avec insistance les portes d’entrée. Je comprends qu’ils veulent entrer mais quelque chose les retient. Je tourne dans leur ronde le nez par terre, soucieux.
Puis je leur demande : « Vous hésitez à entrer ? »
Deux de leurs amis sont en cours de jugement pour vol de sac à main. L’un inventait un stratagème pour arrêter les voitures près d’un feu rouge, le second ouvrait la porte et arrachait ce qu’il trouvait.
Les mères des deux adolescents sont présentes à l’audience. La femme volée et son mari aussi. Deux mondes séparés en émoi.
Lentement, je discute séparément avec les unes, avec les autres. Plus lentement encore, je tente une proposition de discuter ensemble sur le parvis.